Passation de pouvoir
La face Nord d’une dépression au large de la Bretagne n’a pas été de tout repos pour les treize monocoques Imoca, au point que Marc Guillemot est tombé violemment sur une côte… Le rythme est donc encore monté d’un cran et les leaders se succèdent en tête, Yann Eliès ayant pris le commandement ce mardi après-midi. Mais la traversée d’une zone de vents faibles peut redistribuer les cartes dès demain mercredi…Le passage septentrional d’une perturbation qui se déplace lentement vers le golfe de Gascogne, a été plus musclé que prévu ! Au lieu de la vingtaine de nœuds annoncés, ce sont presque trente nœuds qui ont soufflé la nuit dernière et les monocoques ont pu allonger allégrement la foulée pour aligner près de 370 milles ces 24 dernières heures, soit 15,4 nœuds de moyenne… Mais pour Marc Guillemot (Safran), ce renforcement l’a mis en difficulté : « En fin de journée de lundi, j’ai croisé sous spinnaker Loïck Peyron et Yann Eliès puis le vent a commencé à forcir dans la soirée : j’ai affalé parce que cela devenait un peu chaud avec près de 25 nœuds de vent réel… J’ai envoyé le foc Solent et je suis allé me reposer à l’intérieur. A un moment, Safran a accéléré brutalement et je suis sorti de ma bannette pour aller au cockpit : le bateau a buté dans une vague et il a empanné ! Je me suis retrouvé couché, le mât dans l’eau à l’horizontal… Un beau vrac ! Cela m’a pris du temps pour tout remettre en ordre et au bout d’une demie heure au moins, j’ai refait route sans dommage. Mais quand je me suis refroidi, je me suis aperçu que j’avais une énorme douleur aux côtes : ça me fait très mal et soit il y a une petite fracture, soit c’est un gros choc. Je sais qu’il n’y a rien à faire. Depuis minuit, j’avance donc à vitesse réduite parce que je n’ai pas trop les capacités physiques d’intervenir. Si la douleur s’estompe un peu, je remettrais de la toile mais je n’envisage pas pour l’instant, d’arrêter la course ! »
Depuis cet incident, Safran suit une route plus « sage » en s’étant décalé vers le Sud-Ouest afin de subir moins de vent et de mer. Certes Marc Guillemot a ralenti mais au vu de sa trajectoire ce mardi après-midi, il semble bien qu’il ait choisi de continuer : le Breton est un « dur au mal » et s’il estime que la douleur est supportable, il retrouvera rapidement son potentiel à 100%.
Hiérarchie bousculéeEn deux jours, il y a eu pas moins de six leaders successifs ! Loïck Peyron (Gitana Eighty), Armel Le Cléac’h (Brit Air), Vincent Riou (PRB), Sébastien Josse (BT), Michel Desjoyeaux (Foncia) et Yann Eliès (Generali)… Et comme par hasard, ces six solitaires sont encore à touche-touche et ne se lâchent pas d’une étrave, même si certains ont parfois choisi des chemins de traverse pour arriver au même point ! A l’image de Michel Desjoyeaux qui a surpris tout le monde la nuit dernière en fonçant à bride abattue vers le Nord-Ouest sous solent et grand voile à un ris, pour redescendre sous spinnaker ce mardi, histoire de se recaler sur le groupe leader…
Toutefois, si les écarts en latitude restent étonnamment réduits après deux jours de mer, du moins entre les six premiers, qu’en sera-t-il d’ici 24 heures ? Car devant les étraves se glisse une zone de vents faibles et variables, un marais barométrique où il ne faut pas s’enliser… Et les petits décalages Nord-Sud peuvent prendre beaucoup plus d’importance qu’un écart Ouest-Est. Au fil des classements, les solitaires réactualisent leur stratégie car à ce stade de The Artemis Transat, il semble que personne ne désire trop quitter le groupe : phase d’attente pour ne pas risquer de s’enferrer dans une voie sans issue quand les prévisionnistes annoncent des vents plus mous et une situation encore confuse pour le passage de la porte des glaces au large de Terre-Neuve.
Seule certitude : il y aura une perturbation à négocier en entrant dans le Gulf Stream mais il reste à savoir comment elle va se déplacer pour se positionner plus au moins dans son Sud. Du vent contraire est prévu, mais sera-t-il Sud-Ouest ou Sud ? Cela change considérablement l’approche des bancs de Terre-Neuve…
Rien n’est acquisAinsi, le nouveau leader Yann Eliès ne se pose pas trop de questions : la route la plus directe est souvent la meilleure quand l’avenir est encore flou. Il y aura encore la possibilité de changer son fusil d’épaule s’il s’avérait que la voie un peu plus Sud prise par Sébastien Josse se révélait plus efficace : il n’y a pour l’instant que quarante milles de décalage latéral…
En revanche, les poursuivants des six leaders sont moins « disciplinés » ! Ils se sont déjà dispersés depuis le lendemain du départ, avec un cavalier seul du Britannique Steve White (Spirit of Weymouth) sur une route très Nord, puis Yannick Bestaven (Cervin EnR), Dee Caffari (Aviva) et Unai Basurko (Pakea Bizkaia) ont plongé vers le Sud-Ouest. Seuls Samantha Davies (Roxy) et Arnaud Boissières (Akena Vérandas) persistent sur la même voie que les leaders. Et si ces deux solitaires ne peuvent pas suivre le rythme imposé par les monocoques de la nouvelle génération, ils se maintiennent en position de chasseur, sans trop perdre de terrain.
Méfiance, car si les premiers tombent dans un trou de vent, ils auront l’opportunité de contourner le danger et de revenir jouer les trouble-fêtes ! A 1 250 milles de la porte des glaces de Terre-Neuve, il y a fort à parier que les divergences de point de vue vont s’exprimer la nuit prochaine, quand le black-out nocturne (de 20h00 à 8h00 heure française) permet de prendre une option sans que ses concurrents ne s’en aperçoivent…